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J’espère qu’on se souviendra de moi



Texte de Jean-Marie Piemme

« TU DOIS CHANGER TA VIE ! »




Quatre hommes, deux femmes prennent la parole. Chacun d’entre eux, par famille ou par affinités, a côtoyé, un même homme qui a commis un meurtre. Le père, la mère, l’épouse parlent, mais aussi l’employeur, un témoin du meurtre et bien sûr le meurtrier lui-même. Les paroles tenues n’excusent pas, n’expliquent pas, ne rationalisent pas. Elles disent seulement comment l’événement traverse chacun et chacune, comment cet événement les secoue, les implique, les réveille, les déstabilise.
Surgissant d’un espace de reflets, chaque personnage tour à tour vient occuper le devant de la scène. À la première prise de parole, le pacte est scellé : la représentation sera un face à face sans ambiguïté, ce sera une parole clairement adressée au spectateur.
Ils sont là, bien sûr, visibles dans l’urgence à dire, dans la nécessité de lancer les mots comme le naufragé solitaire sur son rocher lance sa bouteille à la mer, dans la volonté d’assumer (et d’assurer) un engagement verbal sans concession.



La mise en scène de Sébastien Bournac place le spectateur en position de confrontation directe, sans faux-fuyant, sans fioriture, mis au pied du mur par la parole de l’Autre : qu’en est-il de ma relation à mes enfants, à mon père, à ma mère, à l’amour, à la violence, à la loi, au travail ? Aux livres, aux fictions, à mes rêves, à mes réussites, à mes défaites ? Qu’en est-il de mes espérances et de mes désespoirs ? Où en suis-je exactement dans ma vie ?
Et ces interrogations vibrent en nous parce qu’elles traversent le corps des acteurs. Et lorsqu’à la fin, le pianiste, qui jusque-là ponctuait le tracé du spectacle, se retourne vers le public, on se dit « lui, c’est moi, j’étais à la fois sur scène et dans la salle

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Que deviennent nos espérances, nos peines, nos joies dans un temps trop sec, trop vide ?
Ils bouillonnent. Dans le flux de leurs bouillonnements, émergent des questions.
Par exemple : Quel rapport les pères entretiennent-ils avec les fils ? Que savons-nous de nos enfants ? Quelle place le travail occupe-t-il dans l’accomplissement de soi ? Qu’est-ce que la filiation ? Qu’est-ce que la droiture ? A quelles conditions un amour peut-il se prolonger ? Où va l’ancienne culture des livres ? Quels sont les rapports entre la blessure et les secrets ? Pourquoi la vérité est-elle toujours difficile à dire ? Quelles ruses inventons-nous pour vivre ? Pourquoi fermons-nous si souvent les yeux ?
Par quoi sommes-nous humiliés ? Qu’est-ce qui nous libère ?
En définitive, de quels élans contradictoires nos émotions, nos désirs, nos sentiments, nos espoirs sont-ils traversés, maintenant, aujourd’hui ?
Ces questions tracent à chacun d’eux les traits contrastés d’un visage, elles tracent les contours d’une existence singulière.
Mais leurs questions sont aussi les nôtres. Elles résonnent en nous.
Portées par les acteurs, elles sollicitent de nous, lecteurs ou spectateurs, une prise de position.
Si nous regardons la scène, la scène nous regarde.
Le théâtre secoue.
Le théâtre désigne.
Nous voilà au pied du mur, nous aussi.
Avec les personnages, chacun d’entre nous ne souhaite-t-il pas dire : J’espère qu’on se souviendra de moi ?

création 2016


Texte de Jean-Marie Piemme
Mise en scène Sébastien Bournac
Avec Nathalie Andrès (reprise 2018), Alexis Ballesteros, François-Xavier Borrel (reprise 2018), Alexandra Castellon, Régis Goudot, Pascal Sangla
(Séverine Astel et Benjamin Wangermée pour la version 2016/2017).
Accompagnement musical Sébastien Gisbert
Conception scénographique Christophe Bergon
Création lumière et régie générale Philippe Ferreira
Régie plateau et construction des décors Gilles Montaudié
Régie son Loïc Célestin
Conseil en motorisation Stéphane Dardé
Création des costumes Noémie Le Tily
Assistant à la mise en scène Yohan Bret

Photographies François Passerini

Production compagnie Tabula Rasa
Coproduction Théâtre Sorano, Toulouse ; Scène Nationale d’Albi ; Le Parvis, Scène Nationale de Tarbes.
La compagnie Tabula Rasa est conventionnée par la DRAC Midi-Pyrénées Languedoc-Roussillon, par la Région Occitanie Pyrénées-Méditerranée et par la Ville de Toulouse. Avec la participation du Département de la Haute-Garonne.
Le Groupe Cahors – Fondation MAEC participe depuis 2005 au développement des projets de la compagnie
Tabula Rasa.

Avec le soutien de l’ADAMI. L’Adami, société des artistes-interprètes, gère et développe leurs droits en France et dans le monde pour une plus juste rémunération de leur talent. Elle les accompagne également par ses aides financières aux projets artistiques.
Avec le soutien de la SPEDIDAM. La SPEDIDAM est une société de perception et de distribution qui gère les droits des artistes-interprètes en matière d’enregistrement, de diffusion et de réutilisation des prestations enregistrées.


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Extrait vidéo


Revue de presse


DDM-QUADRI-2013
Notre fils, ce meurtrier

Publié le 11/10/2016

Charles -ou Carlos suivant qui le nomme -a tué homme. Autour de lui, -l’un après l’autre-, ils sont cinq personnages- le père, la mère, l’épouse, l’employeur et un jeune livreur témoin du drame — à essayer d’expliquer Charles, son geste mais surtout de s’expliquer eux-mêmes, voir les répercussions, ce que ce meurtre a provoqué et remis sen cause en eux, se posant chacun les questions qui le concernent : le père, amer qui croyait que Charles n’était que la projection de lui-même, évoque la notion de filiation, de paternité, d’enfants qui nous échappent, le livreur, la question de la justice…

Au cœur de ces monologues qui se suivent sans se ressembler, la mère qui ne parle que de son amour des livres, donnant peut-être ainsi la clé du mystère Charles, (qui viendra se raconter en milieu de pièce) : un dégoût de ce manque d’amour, universel et particulier, régnant aujourd’hui dans un monde mené par la pathétique nouvelle trinité des temps modernes : égoïsme, égocentrisme et narcissisme.

Présentée au Sorano jusqu’à ce vendredi, «J’espère qu’on se souviendra de moi» est une pièce, riche de mots et de pensées, que Sébastien Bournac, qui signe la mise en scène, a demandé à Jean-Marie Piemme, en s’inspirant d’un fait divers relaté dans un téléfilm de Fassbinder.

Suspendues, de grandes plaques de verre, à la fois transparentes, mobiles autour desquelles les comédiens se meuvent et se reflètent, sont autant de miroirs kaléidoscopiques livrant les différentes facettes de ces âmes en peine.

Les comédiens de la Cie Tabula rasa, chacun dans leur registre- cynique, emporté, angoissé, révolté…-, livrent avec une belle énergie, rythmée par le piano de Sébastien Gisbert, une palette de sentiments et d’émotions. Mention spéciale à Alexandra Castellon, l’épouse rebelle s’évadant de sa cage et à Alexis Ballesteros, sorti de l’Atelier volant du TNT , qui incarne ce jeune livreur jeté dans les incohérences de l’époque.


Une grande création à Toulouse.

Entretien avec Sébastien Bournac par Gilles Costaz

Nouvelle ère pour le théâtre Sorano à Toulouse. Conventionné par la ville et gérée par l’association Tabula rasa, cette belle salle au fronton antique parie à présent sur la création moderne, avec les choix de Sébastien Bournac, le nouveau directeur dont le spectacle, J’espère qu’on se souviendra de moi de Jean-Marie Piemme, ouvre la saison. Donc tout un symbole pour un théâtre qui renaît.

Ce spectacle est né d’une commande que vous avez passée au grand auteur belge qu’est Jean-Marie Piemme. Comment ce projet a-t-il pris forme ?
Sébastien Bournac : J’avais monté, avant d’être nommé directeur artistique du Sorano, une pièce de Piemme, Dialogue d’un chien avec son maître sur la nécessité de mordre ses amis. Nous nous connaissions donc. Il y a longtemps que je tourne autour d’un téléfilm de Rainer Werner Fassbinder, Je veux seulement que vous m’aimiez : en 1967, Fassbinder s’était passionné pour un détenu, un jeune homme mal-aimé qui avait fini par commettre un meurtre, et s’était projeté dans ce personnage. J’en ai parlé à Piemme, que je suis allé revoir à Bruxelles, et j’ai fait traduire par Irène Bonnaud des témoignages authentiques parus en Allemagne. Piemme s’y est intéressé. Je lui ai passé une commande qui précisait que le texte devait comprendre une série de prises de paroles.

Le texte de Piemme est-il composé d’une succession de monologues ?
Ce sont six personnes qui parlent de Carlos, le travailleur manuel incarcéré : ses parents, son épouse, la grand-mère de l’épouse, l’employeur et un témoin. Ce sont des prises de parole individuelles. Mais c’est dans une construction globale. Ce que chacun dit dépasse l’histoire de chacun et rejoint de grandes questions : qu’est-ce qu’être le père ou la mère d’un meurtrier ? Quels rapports le criminel peut-il avoir aux parents, au travail, à l’amour ? Nous ne sommes plus en 1967. Ces figures parlent d’aujourd’hui. Le texte de Piemme est très marqué par les attentats. Il donne à voir quelle onde de choc produit un fait traumatisant dans nos vies et comment il les repositionne.
Qu’apporte l’écriture de Jean-Marie Piemme à un projet qui vient de vous ?
Tout son regard cynique réjouissant ! J’aime tellement son esprit ! Son écriture fait superbement confiance au langage. Elle tisse si bien les rapports de la fiction et du réel. Il écrit aussi dans la joie de l’énergie théâtrale qui va venir. Le théâtre, c’est des nageurs, pas des noyés. Et la parole, c’est l’action ! Piemme a créé un kaléidoscope passionnant, un puzzle où le spectateur va fabriquer son chemin.
Avec pas mal de problèmes posés au metteur en scène ?
C’est une expérience, à laquelle participent sept bons acteurs et un musicien qui travaille avec un piano « préparé ». La scénographie, toute en miroirs, est motorisée. Elle tourne et permet au spectateur de voir son propre reflet. On a travaillé tantôt avec un acteur seul tantôt avec tous, afin d’arriver à la choralité, à partir de ce texte très ludique, et très polar.

J’espère qu’on se souviendra de moi de Jean-Marie Piemme, mise en scène de Sébastien Bournac, accompagnement musical de Sébastien Gisbert, scénographie de Christophe Bergon / Lato sensu museum, lumière de Philippe Ferreira, costumes de Noémie Le Tilly, avec Séverine Astel, Alexis Ballesteros, Alexandra Castellon, Régis Goudot, Pascal Sangla, Benjamin Wangermée.

Article original sur le site de WebThéâtre.fr


flash-hebdo
Petit meurtre en famille

Article de Cécile Brochard sur le site de Flash Hebdo

Sébastien Bournac lui avait emprunté l’an dernier Dialogue d’un chien avec son maître sur la nécessité de mordre ses amis où nous sautait à la gueule sa carnassière prose. Jean-Marie Piemme a mis cette fois ses mots fiévreux plein la bouche de six comédiens, sur une partition de commande, autour d’un fait divers.

Parce qu’il voulait poursuivre la collaboration avec l’auteur susnommé, partir d’un meurtre banal (prétexte d’un téléfilm de Fassbinder) et travailler avec ces comédiens-là, Sébastien Bournac a construit sa dernière création sur un faisceau d’envies.

Un projet libre et ouvert aux possibles. Pour preuve la modification intervenue depuis la première du spectacle, qui a vu disparaître un personnage et un pan du texte. Travailler en duo avec l’auteur, c’est pouvoir ajuster l’écriture aux échos qu’en fait vibrer la salle.

Pas de dialogue mais des ricochets de paroles

Sur scène vivent des figures, archétypes cernant le meurtrier, un jeune homme qui chez Fassbinder voulait seulement qu’on l’aime et qui espère là qu’on s’en souvienne. Il a tué, sans préméditation ni remords la Mère, le Père, le Patron, le Témoin, l’Épouse. Tous ont à la bouche une lecture de son acte, de son onde de choc sur leur vie.

Chacun sa version, unifocale, étanche à celle des autres comme sont dissociées les présences dans la scénographie de Christophe Bergon. Des miroirs verticaux tournent sur leurs axes, isolant les personnages tout en les mettant, jeux de reflets et frôlements, en mouvement et en lien.

Pas de dialogue mais des ricochets de paroles qui tentent une polyphonie morcelée, pour dire le collectif, la globalité d’un monde violent, nimbé heureusement de la belle lumière de Philippe Ferreira et du piano percussif de Sébastien Gisbert.

Déterrer nos rêves

C’est souvent fort, parfois inégal. On trouve au fil de la pièce certaines prises de paroles moins parlantes, parce que trop écrites, trop didactiques.

Piemme aime les mots, leur bruit et leur fureur. Il fait levier du langage comme un terrassier de sa pioche : déterrer les aspirations et les rêves ensevelis sous nos compromis quotidiens. Voilà en partie l’entreprise. Bournac prend à sa charge l’autre partie de l’enjeu : faire sens de ce trop-plein d’intentions et canaliser l’énergie des comédiens, parfois tentés par le sur-régime, pour amener ce beau spectacle à l’équilibre.


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