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L’apprenti



Texte de Daniel Keene

«Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience.»


René Char



Quel gosse n’a pas un jour rêvé de remplacer ses parents parce qu’il estime que les siens ne sont pas assez bien ?
L’Apprenti est l’histoire farfelue d’une rencontre entre un jeune garçon et un homme. Julien, gamin culotté et impertinent à la recherche d’un père idéal, déboule dans la sphère privée de Pascal, la quarantaine solitaire, grand amateur de mots croisés…
Loin des clichés habituels sur les pères et les fils, Daniel Keene s’attache avec légèreté et délicatesse à décrire la naissance et l’évolution sur une année entière d’une intimité particulière.
Cette fable simple et heureuse pourrait bien être une définition de l’amour.



L’Âge des possibles

« Tout est possible » lance Julien à Pascal au tout début de la deuxième séquence de la pièce, c’est-à-dire juste après leur première rencontre. Et l’adulte raisonnable de corriger : « Ce n’est pas totalement vrai. Il y a des choses qui ne sont pas possibles. »
À la fin de la pièce, alors que Julien, dans un mouvement de désillusion très adolescent, semble s’être résigné à ce que tout ne le soit pas, Pascal lui répond cependant en affirmant, avec une impérieuse nécessité, l’importance du rêve : que Thomas Voekler puisse rêver de remporter le tour de France, voilà qui est important. Et peu importe que cela arrive au bout du compte. Ce qui compte, c’est de pouvoir le rêver.
Entre ces deux moments, presque une année s’est écoulée, et quelque chose a changé, s’est modifié imperceptiblement à l’intérieur des deux personnages au fil de l’évolution de leur relation. Les lignes du rêve et de la réalité, du possible et de l’impossible ont été bousculées, et c’est cet apprentissage réciproque qui est pour moi le centre de la pièce. Il convient de le scruter attentivement comme un horizon.
Quel enfant en effet n’a jamais rêvé d’avoir d’autres parents que les siens ? En devenant lui-même, l’enfant peut bien se raconter des histoires et créer son monde idéal, celui dans lequel il voudrait vivre. Mais il se trouve bien vite confronté à une réalité implacable, celle du monde réel. Grandir, c’est accepter la réalité. Et Julien grandit dans L’Apprenti.
Quel adulte n’a pas renoncé à la part de l’impossible dans sa vie pour se réfugier médiocrement dans un quotidien étriqué, réglé et morne ?
L’enfant rappelle ici à l’adulte que malgré tout il ne faut pas oublier d’imaginer le réel, continuer – au coeur de la rudesse du monde – à le rêver autrement. C’est cette acuité vitale que Pascal recouvre au contact de Julien.
Julien fait preuve d’une audace innocente et subversive en abordant un inconnu, choisi parmi d’autres candidats, pour en faire son « père idéal ». Cette intrusion bouleverse la vie de Pascal et réveille des questions (« refoulées » ou simplement tues) sur son désir d’être père et sur sa capacité à être avec les autres.
De rencontre en rencontre, ces deux-là, « apprentis » l’un autant que l’autre, apprennent à se connaître et jouent ensemble le jeu d’une relation à inventer, tantôt sur le terrain de l’un (un parc, la berge d’un fleuve, le collège…), tantôt sur le terrain de l’autre (le marché, la terrasse d’un café, une église, l’appartement…).
Entre éclats de rire, émotions partagées et crises passagères, peu à peu chacun crée chez l’autre le besoin de ce qu’il lui apporte. Une amitié aussi inattendue qu’intense naît entre le gamin capricieux et l’adulte solitaire et sans expérience. Ils se réconcilient avec leur vie et cela réenchante le monde.
Plus besoin d’être un fils et un père pour être ensemble. Keene l’écrit, « L’Apprenti est une pièce qui parle d’amour. » Et d’imagination.

Sébastien Bournac

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création 2012


Texte de Daniel Keene
Traduction Séverine Magois
Une création de la compagnie Tabula Rasa
Tout public à partir de 8 ans
Durée 1h10
Mise en scène : Sébastien Bournac
Avec : François-Xavier Borrel et Laurent Pérez

Scénographie : Arnaud Lucas
Création Lumière : Loïc Andraud
Création sonore : Tom A. Reboul
Création Costumes : Noémie Le Tily
Assistante à la mise en scène : Lise Lenne
Photos : François Passerini

Production : compagnie Tabula Rasa.
Coproduction : Scène Nationale d’Albi

Avec le soutien du Conseil Général de la Haute-Garonne, du Centre culturel de Ramonville, des communes de Jouqueviel et de Mirandol-Bourgnounac, du Rectorat de l’académie de Toulouse et du collège de Verfeil.
La compagnie Tabula Rasa est conventionnée par le Ministère de la Culture et de la Communication / DRAC Midi-Pyrénées, par la Région Midi-Pyrénées et par la Ville de Toulouse.
Le Groupe Cahors – Fondation MAEC participe depuis 2005 au développement des projets de la compagnie Tabula Rasa.
Depuis 2011, Sébastien Bournac et la compagnie Tabula Rasa sont en compagnonnage artistique avec la Scène Nationale d’Albi.
Le spectacle a été créé à Albi en janvier 2012.
Cette création a été imaginée à la suite de la commande faite à la compagnie d’une lecture théâtralisée du texte dans des collèges par le Conseil Général de l’Aveyron dans le cadre de l’opération « Théâtre au collège » (mai-juin 2010).

Le texte de L’Apprenti est édité aux Éditions Théâtrales dans la collection Jeunesse.

 


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Extrait vidéo


Revue de presse


LE KEENE EST BON

Les chroniques de Jean Dessorty – 20 novembre 2014

C’est à une nouvelle rencontre entre la compagnie Tabula Rasa et l’auteur contemporain australien Daniel Keene à laquelle le public était convié hier soir dans l’auditorium de l’École de Musique pour un nouveau volet du Festival Novado. Trois ans et demi après « Dreamers » vu à la M.J.C., « L’apprenti » est un spectacle qui tourne depuis 2011 et qui sera présenté au printemps prochain aux Rencontres Théâtre Ado à Laval au Québec.

Sur scène, un décor réduit a minima: d’un côté, une table de bistrot où régulièrement un adulte dans la quarantaine a ses habitudes, entre autres de longs moments passés à faire des mots croisés, en face un immeuble symbolisé par un échafaudage sommaire d’où un jeune ado l’observe avec des jumelles. Un jour, au détour d’une rencontre provoquée par le plus jeune, ils entament un dialogue banal, dérisoire presque insignifiant. Et à partir de là tout va basculer… La pièce c’est le récit de ces rencontres de plus en plus fréquentes, de plus en plus personnelles voire intimes étalées sur toute une année. Les mois s’égrènent sur un tableau noir qui sert de repère chronologique et lentement leur relation évolue, s’étoffe, et prend chez chacun de plus en plus de place. Entre celui qui voudrait se choisir un autre géniteur et celui qui reçoit cette requête totalement incongrue pour lui car déstabilisante au possible, c’est un lent cheminement fait de silences, de non-dits, de dialogues succincts et étouffés. Douze courtes scénettes qui creusent le sillon existentiel de la paternité et/ou de la filiation, de la responsabilité, d’une relation affective toujours à inventer, de la nécessité de se dépasser pour aller vers l’autre… autant de petits riens qui esquissent une réflexion approfondie sur le regard d’autrui, sa perception et la représentation que l’on en fait sur scène. Les deux acteurs sur qui repose toute cette intrigue intimiste sont touchants de sensibilité. Changeant régulièrement de vestes, de tee-shirts … au fil des saisons bien sûr mais aussi plus symboliquement pour tisser entre eux ce lien ténu, singulier, inédit et déstabilisant, ils illustrent avec justesse cette gamme d’ infimes variations sur cette relation jamais figée et en construction. La diversité vestimentaire comme frêle carapace en perpétuelle mue, se fait l’écho des élans du coeur, en symbiose du cocooning le plus voluptueux comme de la plus éphémère fragilité.
Du théâtre délicat qui se glisse dans les méandres de l’identité humaine.


clou

PARTAGE DU SENSIBLE

Julien Botella – Samedi 10 Novembre 2012

Le compagnonnage entre la Scène Nationale d’Albi et la compagnie Tabula Rasa, dirigée par Sébastien Bournac, donne décidément de beaux fruits. Après Un verre de crépuscule et Dreamers, Tabula Rasa porte une dernière pierre au triptyque consacré à Daniel Keene, avec L’Apprenti, la seule pièce du dramaturge australien étiquetée – sans doute à tort – «jeune public». Ce troisième opus a été créé «Au fil du Tarn», avec une série de représentations depuis 2011 dans des lieux très différents : collèges, salles municipales, salle de l’Athanor. Ce parcours de création n’a rien d’anecdotique pour la pièce telle que nous la voyons aujourd’hui. L’espace bi-frontal choisi par Sébastien Bournac trouve par exemple son origine dans le travail de création pour les publics scolaires. Lorsqu’il évoque l’évolution du spectacle au fil du temps, le comédien Laurent Pérez est quant à lui marqué par cette densité d’existence, cette patine que le spectacle a gagnée au fil des représentations, dans des lieux et auprès de publics aussi diversifiés.

«ÇA TE PLAIRAIT D’ÊTRE MON PÈRE ?»
Une table de café, un homme (Laurent Pérez), plongé dans ses mots croisés. Il laisse le bruissement du monde à l’arrière, dans ses va-et-vient et son agitation. Une solitude profonde et paisible, à l’abri des mots. Mais survient Julien (François-Xavier Borrel). Déjouant la distance, armé de ses jumelles, il l’a étudié, il l’a bien observé, et l’a choisi. Ce Pascal sera son père. Non le père subi qui lui achète des ipods et s’absorbe dans son travail de bureau, mais un père d’élection, avec lequel naîtra une relation sensible et ludique. Car Julien aime le jeu, on sent en lui une délectation de jouer et de gagner, qui lui vaut peu à peu d’entrer en contact avec cet homme qui ne voulait pas être rejoint dans sa solitude. Regards en coin, élan bondissant vers l’autre, ce Julien pousse l’adulte dans ses retranchements et le conduit peu à peu sur le terrain risqué du sensible. Parce qu’il est art de la projection, de l’amplification, le théâtre confond trop souvent sensible et pathos, sensibilité et état de crise. S’appuyant sur la richesse du dialogue tissé par Keene, en apparence très simple, mais d’une profondeur que deux ou trois répliques suffisent à ouvrir, le spectacle de Sébastien Bournac parcourt les situations de vie, accompagne la relation entre Julien et Pascal, les regarde. Le spectacle est attentif à cette vibration particulière qui naît de la rencontre. Les mois s’y égrainent, dessinent une relation à travers le temps et les lieux du quotidien (le café, le marché, le jardin, le cinéma). Il s’agit, à travers ces instantanés, de faire éclore des bulles, et de regarder ce qui y fait le sel de la relation paternelle.

UNE CONNAISSANCE PAR LES GOUFFRES
En funambule, le spectacle se garde de l’anecdotique, de l’aplatissement qui menace la représentation du quotidien. Car la paternité en question n’est pas de celles qui étouffent, qui lient. Cette paternité choisie met en relation deux individus qui ne tiennent pas une place, qui ne s’épuisent pas dans le rôle familial. Cette paternité est avant tout jeu, donc fragile, sur le fil. Sur ce parcours sensible, les failles, les regrets de chacun apparaissent, sans que l’écriture de Keene ne les ait guettés ou provoqués. Le spectacle parvient à faire ressentir le vertige, la vulnérabilité de ces deux “apprentis“ qui tentent d’être le plus justement à l’autre et au monde. La découverte de la paternité se fait ainsi par les gouffres, par le vide. Elle engage les acteurs à une exploration d’eux-mêmes. Comme l’explique Laurent Pérez, il s’est agi pour lui de savoir “ce que Pascal n’a pas, et que moi j’ai, du fait de ma paternité“, et donc d’appréhender le personnage par le manque, le vide qui le constitue, plutôt que comme une addition de traits distinctifs. La mise en scène de Sébastien Bournac réussit précisément à créer des îlots d’existence, et à faire vibrer le vide, l’ellipse qui les sépare. Cela passe par une dramaturgie sonore habilement conçue par Tom A. Reboul, qui recrée des atmosphères (le jardin, le marché) et fait exister cet arrière-plan d’où chaque scène est prélevée avec douceur et attention. La musique intervient quant à elle moins dans la saturation, la surenchère, que dans le retour sur soi qu’elle favorise. La balade jouée à la guitare dessine une atmosphère intérieure, accompagne la déambulation d’une conscience qui parcourt les saisons. C’est ce qui confère au spectacle sa dimension contemplative, celle d’un lyrisme en mode mineur, tourné vers le recueillement. Car l’immatériel est ici donné et partagé, comme lors de la scène à l’église, où Pascal et Julien vivent le spectacle muet des miroitements de la lumière sur les vitraux. La relation à l’autre se tisse alors entre les mots, au contact de la beauté des choses. Comme si le beau n’était pas affaire de prix, objet de consommation, mais bien plutôt attention portée, geste prodigué. Julien et Pascal créent donc peu à peu un langage commun avec les mots simples qu’ils redécouvrent ensemble. C’est cette densité du petit rien, cette force de la redécouverte du plus simple que la mise en scène de Sébastien Bournac donne à ressentir : “ne pas montrer trop de choses, suggérer, donner des appuis aux spectateurs, pas plus […]. Cela me semble salutaire dans une époque aussi saturée que la nôtre“, confie-t-il. Et ça marche : nous suivons l’histoire pas à pas, le spectacle est vibrant d’humour, de pudeur, de légèreté. Nul besoin ici de sur-jouer ; il n’est que de faire confiance à la richesse du texte, et d’en suivre les miroitements, les métamorphoses au fil des représentations.

«SI TU VEUX ÊTRE PÈRE, TU DOIS ÊTRE ABSOLUMENT CONVAINCU D’AVOIR RAISON, MÊME SI TU AS TORT»
L’Apprenti n’est bien entendu pas une pièce militante, agressive ou dogmatique. Les temps ont peut-être besoin d’autre chose. En revanche, la question du père rejoint celle du chef, la question de l’apprentissage celle de la transmission. De ce point de vue, Julien et Pascal portent des refus : refus de ne pas s’en tenir au père qui leur a été donné ; refus des places assignées ; refus de cette fameuse “image du père“ dont l’étude en psychanalyse a trop fait oublier le rôle social, et que l’humour de la pièce dynamite allègrement. Et de fait, nous voyons un père, nous voyons un fils, non parce qu’ils le disent, non parce que le père raconte la vie à son fils, mais bien plutôt par les gestes qui sont les leurs : enfiler ou enlever un vêtement, prendre un café, lire une bd, jouer au foot. Les spectateurs ne sont pas contraints dans leur construction, le spectacle requiert simplement une attention plus aigue à ces gestes qui fondent l’identité de chacun. La mise en scène confronte, met en miroir, mais aussi rassemble père et fils dans le jeu, dans la passe de foot qui devient pas de deux, et laisse au spectateur la liberté de combiner, d’agencer et de donner un sens plein à leur relation.
Le public albigeois pourra retrouver la compagnie Tabula Rasa avec La Mélancolie des barbares, pièce de Koffi Kwahulé écrite pour la compagnie – à découvrir en avril sur la scène de l’Athanor.


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L’APPRENTI DE DANIEL KEENE : UNE PERVERSION SOCIOLOGIQUE

Jean-Jacques Delfour – 3 Décembre 2012

L’Apprenti de Daniel Keene est une expérimentation mentale sous une apparence de naïveté. Le thème semble relever du conte de fée. Un adolescent (sans doute un garçon plus jeune) se choisit un second père, le séduit et, au bout d’un an, par tout un jeu de ruses et de subtilités, parvient à le lui faire accepter.

DAVID ET GOLIATH CHEZ ŒDIPE
Cette pièce séduit parce qu’elle montre une toute-puissance infantile qui se prolonge souvent dans l’âge adulte. Ici, l’enfant pré-adolescent séduit cet homme de passage et le manipule avec succès, semblablement aux contes où l’on admire les ruses et les finesses de petits héros minuscules face à des ogres finalement impuissants. Freud encore, dans Trois essais sur la théorie de la sexualité, pointe l’enfant comme capable de devenir un « pervers de manière polymorphe ». Ou comment les adultes goliathiques sont en fait renversés par les enfants davidiens.
Vieux rêve, fantasme vivace.
L’adulte aussi prend plaisir à voir cet homme se laisser manipuler avec autant de facilité. Il n’est pas très subtil ; d’ailleurs, l’enfant est bien meilleur que lui aux mots croisés : « Sacré personnage » en cinq lettres.
Ne faut-il pas être demeuré pour ne pas trouver la solution évidente ?
La pièce rassure en suggérant que, pour tomber dans un tel panneau, il faut être soit un « saint », soit un crétin ; et qu’il est bien normal que les enfants, dépendants et vulnérables, développent des stratégies de contrôle et de fixation. Du coup, narcissiquement protégé, le spectateur adulte peut régresser paisiblement vers la posture enfantine.
UN ENVIRONNEMENT SUGGÉRÉ
Comment Sébastien Bournac a-t-il mis en scène cet objet polymorphe et problématique ? Visiblement animé par un désir d’harmonie et une pratique de générosité. Il a fait en sorte que la pièce ait sa chance, que le rêve socio-psychologique de Keene puisse se présenter nûment aux spectateurs. Fluidité des transitions, légèreté du décor et simplicité des accessoires, musique douce, sons de café, d’église ou de rue tout en demi-teinte, tamisé, posé. Le monde environnant est suggéré mais juste ce qu’il faut, comme un écrin qui valorise l’attention au drame qui avance.
L’histoire est onirique, le décor est esquisse. Le récit cajole des archétypes, les comédiens jouent des personnages crédibles. Le temps est morcelé, divisé en une petite dizaine de séquences ; les comédiens enchaînent à vue, presque sans coupure.

 

L’ENFANT-ROI QUI ACCUMULE DU CAPITAL PATERNEL
Certes, la paternité n’est qu’accessoirement une donnée biologique : l’adage latin, semper mater certa est [1], dit en creux que le père, lui, est toujours incertain, si bien que la paternité consiste dans les soins, l’attention, la protection, c’est-à-dire des faits sociaux normatifs, qui sont épinglés à une personne mais qui peuvent aussi être rattachés à d’autres. La vie des familles montre de tels déplacements, substitutions, compléments. L’expression « fils » ou « fille » « spirituel-le » désigne ces liens paternels tissés entre des personnes familialement étrangères.
Comme les parents réels sont souvent intermittents et confient à d’autres le soin de leurs enfants, il est socialement normal que les enfants tissent des liens filiaux avec d’autres adultes qui ont eux-mêmes un intérêt actif à accroître leur famille sans les inconvénients.
Bien des enfants peuvent prendre plaisir à l’expression théâtrale d’un fantasme fréquent. L’une des résolutions du complexe d’Œdipe passe par la réécriture de la filiation. Afin de se défendre de la souffrance des déceptions œdipiennes inévitables, chaque enfant développe un « roman familial » dans lequel, à la suite de Freud, l’écrivain Marthe Robert avait vu l’origine du roman[2]. Elle relevait deux figures dominantes : celle du bâtard réaliste et celle de l’enfant trouvé idéaliste. Daniel Keene invente une autre forme : l’enfant-roi qui accumule du capital paternel.
LE PETIT PRINCE N’EST PAS LOIN
Une direction d’acteur précise, sans forçage : le spectateur peut écouter les paroles, repérer les césures et les glissements, compter les points. François-Xavier Borel, un peu trop grand pour le rôle, parvient à faire oublier son aspect dégingandé et joue à merveille l’innocence calculatrice tandis que Laurent Perez est parfait dans le rôle du brave type qui se laisse faire.
Aucun jugement de la part du metteur en scène : le spectateur est au calme. L’histoire ne le déborde que par la régression éventuelle.
Politiquement, l’oubli du monde réel n’est pas total. Le social est bien là, mais comme à la marge. L’ensemble se rapproche de ces objets singuliers, énigmatique et évident comme Le petit Prince.


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