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Music-hall



texte de Jean-Luc Lagarce

Welcome in the Music Hall's Comedy !




Music-Hall de Jean-Luc Lagarce est un conte, parce que c’est une histoire de princesse, ou plutôt d’une Fille qui croit qu’elle est princesse. Elle est là, elle nous regarde de haut du haut de son tabouret, tendrement, mais sans complaisance, raconte sa vie, ses souvenirs de tournées minables à travers quelques anecdotes – « désopilantes », chantonne, plaisante avec ses deux acolytes … Trois petits tours et s’en va. Et l’histoire ? Et le spectacle ? Peut-être était-il là, devant nous et nous ne l’avons même pas vu passer. Nous n’avons pas été capales de le reconnaître. Spectacle dans le non spectacle.

L’orchestre, dit-on, jouait encore alors que le bateau s’enfonçait paisiblement mais inexorablement dans les flots.



Music-Hall de Jean-Luc Lagarce est une oeuvre profondément crépusculaire. Elle représente une chanteuse de music-hall au moment de la désillusion et de la déchéance. Pasolini fait dire à un de ses personnages, à la fin de Pylade : « La vie est plus longue que nos rêves, c’est sûr ». Et ce que met en scène Lagarce, c’est cette vie d’après les rêves et les espoirs, et peut être au-delà de la vie même. Le théâtre est peuplé de fantôme, de morts-vivants … Quand nos illusions ont disparu, que reste-t-il de nos idéaux, de nos utopies ? On regarde, on imagine, on rêve ce que sera sa vie, on croit la voir devant soi, et peu à peu, la vivant, peut-être morts déjà, on se retourne lentement sur soi-même, on observe le chemin qui nous mena là où nous en sommes, aujourd’hui, du pays lointain d’où nous sommes partis.

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Music-Hall est certes le récit drôle d’un échec, le drôle de récit de ce qu’on voulut être et qu’on ne fut pas, ou qu’on n’est plus, le récit de ce qu’on vit nous échapper. Mais étrangement, tout cela se passe bien loin de la douleur : ça continue avec le sourire. Et on peut même, avec Lagarce, rire de cet échec. On rallume ici les feux de la veille. Je lis Music-Hall comme une grotesque comédié. Une farce contemporaine pleine de nostalgie, oscillant sans cesse entre la clownerie et le pathos. La fin de partie de trois pantins en attendant le public.

C’est dans l’entre-deux fragile du rêve et du quotidien le plus trivial, de l’illusion et de la réalité que nous voulons nous approprier le music-hall de Jean-Luc Lagarce.

Nourris de l’onirisme et des images fantasmatiques et fantastiques des cinémas de Fellini, de David Lynch ou encore de Stanley Kubrick …, nous « revisiterons » comme un rêve le passé révolu du music-hall, avec ses tableaux éblouissants (rituels où de grandes prêtresses, dans un ruissellement de fontaines lumineuses, de strass, de paillettes et de plumes d’autruches, se font escorter par une troupe de girls et de boys) auquel Lagarce rend, dans son texte à l’épure flamboyante, un hommage aussi fasciné qu’amusé.

Comme un clin d’oeil brillant, dérisoire et décalé pour mieux faire sentir le vide d’un présent déchu, la misère d’une histoire et d’une gloire qui ne font plus rêver.

Après la mythologie, nous sommes en effet entrés dans l’ère de la nostalgie. Et pour rendre compte de ce réalisme désenchanté, ce sont plutôt les anti-héros de Fassbinder se débattant et essayant de survivre dans une société mesquine et cruelle, goguenarde, ou encore le souvenir des galères de théâtre de Pauline Carton qui stimuleront notre imaginaire.

Comme Lagarce, rêvons à notre tour le music-hall. Réinventons-en avec nos moyens, un peu kitsch, un peu bringuebalants, un peu dérisoires, l’esprit et la poésie. Comme un jeu !

L’envers du music-hall ! Car plus que jamais pour ce Music-Hall, nous voulons que ce théâtre soit un espace ambigu de jeu, de transformations, de déguisements, de divertissements, des métamorphoses tantôt sublimes, tantôt prosaïques, pour conjurer la peur et le néant qui menacent.

Les personnages de Lagarce sont toujours un peu comme des enfants perdus ; ils se tiennent la main pour ne pas être seuls ; ils ont si peur du monde qu’ils ne cessent d’en parler ; ils sont pour l’éternité entre deux portes, tentant désespérément de rire avec désinvolture pour ne pas hurler de terreur, tentant désespérément d’empêcher la vie de s’enfuir, de la retenir toujours, de conserver sa trace, d’apprivoiser le présent : être là, juste, à l’instant et avoir moins peur.

création 2005


Music-Hall de Jean-Luc Lagarce

Par la compagnie Tabula Rasa
Mise en scène Sébastien Bournac

Avec Christine Zavan Kassan, Rui Angelo, Régis Lux et Jean-Marc Padovani (saxophone)

Scénographie et lumière : Pierre Heydorff
Costumes : Valérie Gosselin et Sophie Plawczyk
Création musicale : Jean-Marc Padovani
Chorégraphie : Richard Nadal
Régie technique : Gilles Montaudié
Et le concours artistique de Marianne Frossard

Coproduction : compagnie Tabula RasaThéâtre de la Digue (Toulouse) – Théâtre de Cahors (46)

Partenaires : le Conseil Régional de Midi-Pyrénées – le Conseil Général de la Haute-Garonne – la Ville de Toulouse


Revue de presse


DDM-QUADRI-2013

« Music-Hall » tiens la scène

Christian Cazard pour La Dépêche du Midi

Une bonne entame pour la saison théâtrale cadurcienne.

Les critiques essuyées l’an dernier par la programmation théâtrale de Cahors semblent avoir été entendues. Si l’on en juge par les deux soirées d’ouverture, gratuites il est vrai, ce qui est toujours plus facile à « vendre », mais néanmoins fortes d’une audience très respectable (parterre comble et tribune bien remplie), le spectacle a su trouver son public.

De fait, « Music-Hall », au titre trompeur ainsi que nous l’avons écrit en présentation, car il s’agit d’une pièce de théâtre en bonne et due forme et non d’un show, ne peut être qualifié d’hermétique. L’écriture déstructurée de Jean-Luc Lagarce, imitant plus que reproduisant le langage parlé, s’écoute sans difficulté aucune. La structure du récit, organisée elle aussi selon la technique du flash back, à un rythme soutenu, ne pose pas plus de problème.

Pour achever de rassurer les grincheux ajoutons que l’humour, versant dérision, contribue largement à faire passer la sauce. Les acteurs s’en donnent à coeur joie, si l’on peut dire, parfois au seul de la pantomine, bien aidés par une mise en scène aussi limpide et simple que millimétrée. L’astuce du plateau tournant sur son pivot, économe en moyens, fonctionne parfaitement. Ainsi, la cadence des répliques, des situations s’enchaînant ne faiblit pas. Quand le spectacle sera bien rodé (il était présenté aux Cadurciens en résidence création), il doit pouvoir faire mouche en tournée.

Le reste appartient aux spectateurs. Que vont-ils faire de cette réflexion douce-amère sur l’insoutenable inutilité de l’être, qu’il soit comédien ou guichetier ? Rêve bafoué d’un rôle actif sur la scène de la société. Besoin irrépressible de se réaliser, au moins un peu, avant de saluer une dernière fois, de donner, un peu, de soi, pour exister vraiment, d’entendre au moins quelques applaudissements au moment du salut, de couper leur chique à tous les goguenards, mot totem de la pièce? De s’arracher, ne serait-ce qu’une seconde, à la goguenardise de l’autre.

Il nous semble que Sébastien Bournac, metteur en scène, a bien compris ce que Jean-Luc Lagarce, auteur, veut dire.